L’art de se perdre à Sumatra

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– Why do you come to Sibolga ? Nous demande un des employés de l’hôtel alors que nous nous enregistrons.
– Heu….
– You go to Niah Island ?
– Heu…. no, no !
– So why are you in Sibolga ?

Nous arrivons à Sibolga très mal renseignés. Nous espérons y faire de la plongée sous-marine, près de l’île de Niah. A notre grande déception, nous apprenons que cet endroit paradisiaque est plutôt destiné aux surfeurs.

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Il n’y a pas grand-chose à faire à Sibolga : pas de musée, de plages ou d’édifices coloniaux qui vous transportent hors du temps. Et pourtant, ne nous ennuyons pas. Nous errons dans le quartier des pêcheurs, le plus pauvre de la ville. Les habitants, très étonnés de voir des touristes, se demandent (tout comme nous d’ailleurs) ce que nous sommes venus chercher ici. Alors que nous flânons à travers la ville tous nous saluent d’un air amusé : « Hello Mister ! Hello Mister ! Poto ! Poto ! » Certains tentent même quelques mots d’anglais : « Wesh, wesh, tank’ouille » pour « Yes, yes, thank you » ou encore « Gouss moning » pour « Good morning ».

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Comme partout sur l’île, les habitants sont très intéressés par les pierres semi-précieuses. Beaucoup d’hommes portent jusqu’à cinq ou six grosses bagues ornées d’un gros joyau. Muni d’une loupe, d’une petite lampe et d’autres ustensiles, ils passent leur temps à les examiner de près ou à les polir. Chaque gemme à une signification bien particulière et permet d’attirer l’argent, la chance, le bonheur, etc. Beaucoup de ces pierres, issues de roches volcaniques, ne se trouvent qu’à Sumatra. Les hommes nous montrent leurs bijoux avec fierté.

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sibolga_bagues

L’accueil incroyable des Indonésiens transforme notre erreur de parcours en une étape très agréable. Sibolga, ville terne et industrieuse, devient un village chaleureux et rempli d’amis. Nous reprenons néanmoins notre route le lendemain, vers la région du lac Toba, à la découverte de la culture Batak.

Le lac sur l’île dans le lac dans le volcan sur l’île

Il y a plus de soixante-dix mille ans, un super-volcan fit éruption dans le nord de Sumatra, détruisant la faune et la flore sur des milliers de kilomètres. Une immense caldeira se forma et, au fil des temps, se remplit d’eau pour former le lac Toba. L’activité sismique, toujours présente, créa quelques milliers d’années plus tard l’île de Samosir au centre du lac. Les peuples alentours, essentiellement des Bataks, vinrent s’y installer. Les Bataks avaient alors leur propre langue, une religion proche de l’animisme et une tradition très marquée. Autrefois cannibales et « chasseurs de têtes », ils ont progressivement abandonné certaines de leurs coutumes et sont devenus chrétiens sous l’influence des colons hollandais. Néanmoins, leur langue est encore parlée et la culture est toujours très présente à travers l’architecture, la danse ou la musique.

Lac_toba_bateau

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Nous arrivons sur l’île de Samosir en bateau à la tombée de la nuit, voguant au cœur d’un des plus grands lacs de volcan du monde, entourés par les hautes falaises abruptes de la caldeira.

Nous nous installons dans le village de Tuk-tuk (du nom imprononçable du premier néerlandais venu sur l’île : Herman Neubronner van der Tuuk). Nous décidons de découvrir l’île à moto, sur des chemins peu praticables, truffés de crevasses et de nids-de-poule. Notre monture, que nous baptisons Brouette, peine terriblement dans les montées, ce qui nous laisse tout le temps d’admirer la campagne verte et vallonnée. Les champs sont parsemés de caveaux surmontés de croix. Les églises sont nombreuses. Les villages sont constitués de maisons traditionnelles Batak dont la forme du toit ressemble à des cornes de buffles. Ces maisons en bois peuvent accueillir plusieurs familles. Elles ont été construites sur trois niveaux, symbolisant les trois mondes : le monde de l’au-delà, la Terre et le monde d’en-bas. Un escalier ayant un nombre impair de marches permet d’accéder au second niveau, lieu de vie commune des familles Batak (le premier niveau étant réservé aux bêtes). Au village d’Ambarita, nous pouvons admirer d’anciens totems, des sculptures étranges ainsi que l’endroit où avait lieu les sacrifices humains.

Au cœur du lac Toba, c’est une autre facette de l’île de Sumatra que nous découvrons, bien différente des régions musulmanes que nous avons connues jusqu’à présent.

Lac_toba_maison

Lac_toba_caveau

 

Chaque sortie en moto est un véritable défi et les vues splendides sur l’immense étendue d’eau se méritent. L’expédition la plus difficile est la recherche du lac de Sidihoni (un lac au milieu de l’île de Samosir dans le lac Toba dans le cratère d’un volcan sur l’île de Sumatra…). Nous cherchons le village de Tanguagan d’où nous sommes censés nous engager sur une piste. Nous demandons notre chemin aux habitants que nous croisons, mais nous obtenons toujours la même réponse : « di sini, di sini » (« ici, ici »). Le petit village de notre carte couvre en fait une grande partie de l’île ! Après bien des fausses routes sur des sentiers boueux et glissants, sur des chemins de pierres qui sans cesse nous font rebondir, nous trouvons enfin la bonne direction. C’est sous un ciel gris et menaçant que nous admirons le lac de Sihodini. Nous rentrons de nuit et sous la pluie, éclairés par la lampe du téléphone de Romain :Brouette n’a qu’un phare qui ne s’allume pas lorsque nous roulons lentement.

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Lac_toba_eglise
Cependant, la beauté du lac, des campagnes, des rizières et des montagnes est telle que chaque jour, nous reprenons notre petite Brouette pour explorer la belle île de Samosir.

 

Le territoire des grands singes et des petites sangsues

Plus au nord encore, se trouve le Parc de Gunung abritant des espèces endémiques telles que nos « cousins » les orangs-outangs. Nous organisons une randonnée dans la forêt depuis le village de Ketambe. La bourgade est entourée de hautes montagnes dont les cimes se perdent dans la brume. La nuit, de grandes chauves-souris planent dans le ciel obscur tandis que les insectes ne cessent de crisser. Pendant ce temps, à la guesthouse, les guides, leurs amis et les voyageurs se sont regroupés pour jouer de la guitare, chanter et boire du vin de palme, que seuls les Indonésiens savent apprécier.

Le lendemain, équipés de « chaussettes anti-sangsues », nous partons avec notre guide Salman pour deux jours au cœur de la jungle. Face au nombre important de sangsues, Romain décide de livrer bataille. Chaque suceur de sang qui osera s’aventurer sur ses vêtements ou ses chaussures sera neutralisé et comptabilisé.

Ketambe chaussettes anti-sangsues
Avec nos belles chaussettes anti-sangsues
Ketambe sangsue
Sangsue !!

Tandis que nous contemplons les immenses arbres étranglés par des lianes géantes, Salman nous interpelle d’une voix sourde « Sophie ! Romain ! Look ! Look ! ». Des orangs-outangs se sont installés au sommet des grands arbres. Ils sont si haut que nous avons du mal à les observer correctement. S’aidant de leurs longs bras, ils se balancent avec agilité de branche en branche. Il y a même une maman qui transporte son petit ! D’après Salman, nous avons beaucoup de chance de les voir. Ils sont très difficiles à trouver car ils changent d’emplacement chaque jour.

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Lac_toba_orang_outang

Après trois heures de marche, nous arrivons près d’une rivière. Rabuman, notre porteur, a déjà préparé le repas et monté deux tentes avec des bâches en plastique et des bouts de bois. Romain marque une trêve dans son combat contre les sangsues. Le score est alors de 32 pour Romain contre 0 pour les petites bêtes.

Nous déjeunons et nous nous baignons dans l’eau fraîche de la rivière avant de repartir de plus belle. Nous nous enfonçons silencieusement dans la jungle profonde et humide, accompagnés par les stridulations des grandes cigales. Nous marchons des heures durant, à l’affût d’un mouvement dans les arbres, d’un bruissement de feuilles, sans voir le moindre singe. Nous commençons à nous décourager quand soudain nous entendons un frémissement léger et lointain. Nous nous approchons silencieusement. À notre grand étonnement, nous découvrons une dizaine de « singes de Thomas » (Thomas Leaf Monkey). Quelle surprise en cette fin d’après-midi ! Coiffés d’une crête branche, ces petits singes aux poils gris s’amusent à se chasser en poussant des cris sauvages.


Ketambe_Thomas

Le soir, nous allumons un grand feu et dînons tous ensemble sous la tente. Rabuman nous a préparé un délicieux repas. Nous discutons de nos différentes cultures. Comme beaucoup d’Indonésiens, Salman adore les films de Bollywood. Les garçons sont d’origine Gayo, un peuple du nord de Sumatra. Pour clore la soirée, ils nous font une démonstration de chants traditionnels. Accroupis, ils se tapent le torse et les cuisses et secouent la tête d’avant en arrière, suivant le rythme saccadé et effréné des chants. Nous allons nous coucher tandis que résonnent dans la forêt les stridulations des insectes en folie.

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Le lendemain pour fêter la victoire écrasante de Romain contre les sangsues (54 contre 0), nous nous reposons dans les sources chaudes en amont de la rivière.

 

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Salman, notre guide

L’île de Sumatra est un véritable joyau, que ce soit pour ses paysages sauvages, sa faune et sa flore exceptionnelle, ses forêts exubérantes, ses volcans, etc. En un mois, nous n’en avons exploré qu’une petite partie. Néanmoins, grâce à l’accueil des Indonésiens, de leur envie de partager, de faire connaître leur île, nous avons appris une infinité de choses. Nous avons découvert des peuples, des traditions, des cultures que nous n’aurions pas soupçonnés.

C’était la première fois que :

  • nous roulions en moto de nuit, sans phare, sous la pluie, sur une route dangereuse, avec du brouillard (et éclairés par un téléphone)
  • nous avons subi une invasion de termites dans notre chambre
  • Romain gagnait un combat contre les sangsues (merci les chaussettes anti-sangsues!)
  • Romain perdait ses lunettes de vue dans la jungle (et les retrouvait !)
  • Romain interprétait une danse batak (dans un restaurant de Tuk-tuk)

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